Le Top 10 des ventes US pour Avril 2025
Hier, nous présentions le Top des ventes d'avril des boutiques du Groupement des Boutiques Ludiques.
En parallèle, Tom Vasel et Chris Yi de Dice Tower ont récemment partagé le classement des ventes de jeux aux États-Unis pour avril 2025, basé sur les données de boardgamebliss.com. Ce classement est probablement établi selon le chiffre d'affaires plutôt que le nombre d'unités vendues.
Numéro 10 et 9
Numéro 8 et 7
Numéro 6 et 5
Numéro 4 et 3
Numéro 2 et 1
Le Spiel Des Jahres
Les Origines et la Naissance du Spiel des Jahres
Pour comprendre l’importance du Spiel des Jahres, il faut se replonger dans l’Allemagne de la fin des années 1970 car à cette époque, le jeu de société n’est pas reconnu comme un produit culturel. C’est un produit de consommation courante, vendu dans les grands magasins, pensé essentiellement pour les enfants ou pour divertir la famille le dimanche après-midi.
En 1970, par exemple, on joue à des jeux comme Mensch ärgere dich nicht (l’équivalent allemand du Jeu des petits chevaux) ou à des adaptations de quiz télé. Le jeu adulte est rare, et le concept d’auteur de jeu est quasiment inexistant.
Des journalistes qui parlent des jeux sur le modèles des critiques culturelles
C’est dans ce contexte que des journalistes culturels vont commencer à s’intéresser sérieusement au jeu de société et notamment Joachim Ulrich, rédacteur pour le journal Die Zeit qui commence à publier des critiques de jeux, sur le modèle des critiques littéraires ou cinématographiques. Il s’intéresse aux mécaniques, à l’expérience de jeu, à la qualité éditoriale. Selon lui, le jeu mérite d’être jugé avec des critères sérieux.
À la même époque, d'autres critiques, comme Harald Schrapers, Tom Werneck, ou Bernhard Löhlein, créent des rubriques ludiques dans leurs propres médias. Ces journalistes traitent du jeu de société comme objet culturel.
La naissance d’un prix indépendant
En 1978, ce groupe de critiques se réunit avec l’idée de créer un prix critique, indépendant des éditeurs, pour désigner chaque année le meilleur jeu publié en langue allemande. Ce prix aura un nom tout simple : Spiel des Jahres, c’est-à-dire, littéralement, Jeu de l’année.
Leur but n’est pas de récompenser l’innovation ou la complexité, mais de mettre en lumière des jeux aux mécaniques intelligentes, accessibles, et porteurs de plaisir ludique. La création du prix se fait sans structure officielle, sans sponsor, sans grande annonce. Le jury est totalement indépendant. Aucun éditeur n’a le droit de voter ou d’influencer. Et encore aujourd’hui, cette indépendance est revendiquée par le Spiel. Cette dimension critique est essentielle pour comprendre l’autorité du prix aujourd’hui encore. Il ne dépend pas du buzz. Il dépend d’un regard professionnel. Le fait que ce prix si important aujourd’hui soit créé en Allemagne n’est pas anodin : En Allemagne, de la presse culturelle est très importante, et les journalistes allemands ont souvent une liberté de ton et une indépendance financière plus importante que dans d'autres pays.
Le premier Spiel : Hase und Igel
En 1979, le tout premier Spiel des Jahres est attribué à un jeu britannique : Hase und Igel, Le Lièvre et la Tortue, de David Parlett. Il s’agit d’un jeu de course très original pour l’époque :
- Pas de dés.
- Une mécanique de gestion de carottes, utilisées pour avancer.
- Et une règle étonnante : plus on est en tête, plus avancer coûte cher.
En d’autres termes, un jeu où le hasard n’est pas central. Où la réflexion est récompensée. Et où les enfants et les adultes peuvent jouer ensemble à armes égales. Un jeu malin, atypique, sans couleurs criardes ni pions rigolos.
Un choix fondateur en termes de critères
Avec ce premier choix, le jury pose les bases de ce que le Spiel valorisera dans les années à venir :
- Une mécanique innovante mais pas complexe
- Une accessibilité immédiate, avec une prise en main rapide.
- Un jeu intergénérationnel.
Le prix va très vite acquérir une reconnaissance croissante. Les éditeurs commencent à apposer le logo « Spiel des Jahres » sur leurs boîtes. Et le public allemand va rapidement suivre ces recommandations. Le Spiel devient un guide d’achat fiable pour les familles, un peu comme le sont, en France, les étoiles Michelin pour les restaurants.
L'âge d’or du Spiel
Dans les années 90 et 2000 le prix devient véritablement impactant sur les ventes de jeux. On entre dans son "âge d’or" : un prix qui devient un levier économique majeur et qui se construit dans le même temps un palmarès de référence qui pose les bases du jeu de société moderne.
Catan : un tournant majeur
L’année 1995 marque un tournant fondamental : le Spiel des Jahres est attribué aux Colons de Catan, un jeu signé Klaus Teuber. Ce n’est pas son premier jeu : il avait déjà remporté le Spiel en 1988 avec Barbarossa. Mais Catan est une révolution.
On y retrouve :
- De la gestion de ressources
- Un plateau modulaire
- Des échanges entre joueurs
- Une interaction douce mais constante
C’est la première fois qu’un jeu de stratégie, non agressif, fluide et accessible, connaît un tel succès en dehors du cercle des joueurs initiés. Grâce au Spiel, Catan passe de 5 000 ventes à plus de 20 millions d’exemplaires écoulés dans le monde. Il est traduit, adapté, décliné. Et surtout : il fait naître une génération de joueurs adultes qui ne se contentent plus de Monopoly ou de Trivial Pursuit. Catan montre que le jeu peut être intelligent, interactif, et fun, sans être pour autant élitiste.
Le succès de Catan cristallise ce qu’on appelle désormais le jeu à l’allemande ou eurogame :
- Des règles accessibles
- Un thème souvent secondaire mais bien intégré
- Un temps de jeu modéré (45–60 minutes)
- Une interaction plus indirecte
- Un matériel sobre mais lisible
De nombreux auteurs vont reprendre ces critères, parmi eux :
- Wolfgang Kramer, récompensé 5 fois, un record !
- Reiner Knizia, docteur en mathématiques, auteur hyper-prolifique
- Michael Kiesling, à la croisée du calcul et de l’élégance
Le Spiel fait de ces auteurs des stars. On suit leurs jeux comme on suit un réalisateur ou un romancier.
Le Spiel sort d’Allemagne
Au début des années 2000, le Spiel s’internationalise. En 2001, c’est Carcassonne, de Klaus-Jürgen Wrede, qui remporte le prix.
En 2004, c’est un auteur américain, Alan R. Moon, qui remporte le Spiel avec Les Aventuriers du Rail.
Une puissance commerciale
Le Spiel devient un label de confiance, aussi puissant que le logo CE ou les étoiles Michelin. Un jeu récompensé voit ses ventes multipliées par 10, parfois par 100. On estime que le logo Spiel fait vendre 300 000 à 500 000 boîtes supplémentaires en Allemagne, et bien plus à l’export. Les éditeurs allemands, comme Hans im Glück, Kosmos, Zoch, Ravensburger ou Pegasus, intègrent désormais le Spiel dans leur stratégie éditoriale. Certains jeux sont pensés dès leur conception pour plaire au jury et si cela hausse le niveau général des jeux, le risque est celui d’une uniformisation de la création.
De leur côté, des prix comme l’International Gamers Award, le Deutscher Spielepreis, ou les As d’Or en France, prennent des positions plus audacieuses.
Pour répondre à cela, le jury du Spiel va faire un pas important en créant en 2011, le Kennerspiel des Jahres « le jeu de l’année pour connaisseurs ». Il ne s’agit pas de jeux experts au sens hardcore, mais de jeux plus stratégiques, plus exigeants.
Le premier à être récompensé est 7 Wonders, d’Antoine Bauza.
Le Kennerspiel est pensé pour séparer les jeux vraiment familiaux du Spiel « principal », pour mettre en valeur des jeux plus complexes sans les rendre inaccessibles et attirer un nouveau public, plus "gamer"
Et aujourd’hui ?
Après avoir exploré la création du Spiel dans les années 70, puis son âge d’or entre 1990 et 2010, on arrive à la période actuelle. Désormais, le Spiel est reconnu mondialement. Il vit avec son temps. Il évolue. Il s’adapte. Il fait des choix qui, parfois, divisent.
Le Spiel est décerné chaque année par un jury composé d’environ 10 à 12 membres, tous journalistes, blogueurs ou critiques spécialisés. Ces membres, tous germanophones, ne sont pas liés à des éditeurs testent plusieurs centaines de jeux chaque année. Leurs critères sont clairement définis : clarté des règles, accessibilité, innovation dans le gameplay, qualité de l’édition et rejouabilité. Il n’y a pas de dossier à envoyer ni de frais d’inscription : ce sont les jurés eux-mêmes qui repèrent les jeux, dans les boutiques, sur les salons ou par leur réseau. La décision finale est prise à huis clos, après des mois de tests et de délibérations.
Le paysage ludique a explosé depuis les années 2010 : des milliers de jeux sortent chaque année, qui viennent désormais du monde entier. Les Kickstarter, les micro-éditeurs et les localisations ont bouleversé les circuits. Ces dernières années, les vainqueurs du Spiel principal ont montré une vraie volonté de sortir des sentiers battus et de tenir compte de ces évolution.
- 2018 – Azul : un jeu abstrait de draft très esthétique
- 2020 – Pictures : jeu de devinettes créatives avec du matériel hétéroclite
- 2021 – MicroMacro: Crime City : jeu d’enquête visuelle, proche du Où est Charlie ?
- 2022 – Cascadia : pose de tuiles et collection, ambiance zen
- 2023 – Dorfromantik : adaptation brillante d’un jeu vidéo coopératif, très contemplatif
Ce sont des jeux souvent calmes, apaisants, anti-stress, en phase avec un public élargi post-pandémie.
Aujourd’hui, le Spiel ne se limite plus à un seul prix. Il existe trois grandes catégories :
Spiel des Jahres : pour les jeux familiaux classiques
Kinderspiel des Jahres : pour les jeux enfants
Kennerspiel des Jahres : pour les jeux un peu plus complexes, mais pas experts. Voici quelques exemples de lauréats :
- 2011 – 7 Wonders
- 2015 – Broom Service
- 2019 – Wingspan
- 2022 – Living Forest
- 2023 – Challengers!
Certains critiquent le fait que le Kennerspiel évite les jeux vraiment experts. Des jeux comme Ark Nova, Dune Imperium, Golem sont souvent finalistes, mais rarement gagnants.
Les membres actuels du Jury :
https://www.spiel-des-jahres.de/en/the-jury/
Jury principal : Spiel des Jahres & Kennerspiel des Jahres
- Harald Schrapers – Président du jury depuis 2018, journaliste et critique de jeux.
- Udo Bartsch – Membre du jury depuis 2008, rédacteur en chef du magazine Spiel doch! et critique de jeux.
- Manuel Fritsch – Journaliste et podcasteur, membre du jury depuis 2019.
- Tobias Franke – Critique de jeux, membre du jury.
- Martina Fuchs – Journaliste spécialisée dans les jeux de société, membre du jury.
- Karsten Grosser – Critique de jeux, membre du jury.
- Maren Hoffmann – Journaliste et critique de jeux, membre du jury.
- Stephan Kessler – Critique de jeux, membre du jury.
- Tim Koch – Journaliste spécialisé dans les jeux de société, membre du jury.
Jury Kinderspiel des Jahres
Le Kinderspiel des Jahres (Jeu pour enfants de l'année) dispose d'un jury distinct, composé de membres spécialisés dans les jeux pour enfants. La composition exacte de ce jury peut varier d'une année à l'autre et n'est pas toujours rendue publique dans son intégralité. Cependant, il est connu que certains membres du jury principal participent également à l'évaluation des jeux pour enfants, aux côtés d'experts externes du domaine de l'éducation et de la petite enfance.
Comment fonctionne le calendrier du Spiel ?
- Mai : publication de la longlist (liste recommandée) et de la shortlist (les 3 nommés par catégorie).
- Juin ou juillet : annonce des vainqueurs pour Spiel, Kennerspiel et Kinderspiel.
- Seuls les jeux publiés en allemand pendant l’année civile précédente (souvent jusqu’en mars de l’année en cours) sont éligibles.
Quels sont les critères d’évaluation (connus et officiels)
Le jury se fonde sur des critères clairs :
Critère | Détail |
Compréhension des règles | Clarté, pédagogie, accessibilité |
Mécaniques de jeu | Fluidité, équilibre, originalité |
Rejouabilité | Variété, renouvellement de l’expérience |
Qualité éditoriale | Matériel, illustrations, ergonomie |
Interaction | Pertinence et dynamique entre joueurs |
Plaisir de jeu | Est-ce fun, captivant, engageant ? |
Accessibilité grand public | Est-ce jouable par une famille ? (pour le Spiel principal) |
Comment se passent les délibérations finales ?
Les jurés testent tous les jeux de la shortlist plusieurs fois. Ils se réunissent en présentiel, souvent à Berlin ou via des sessions longues en ligne. Les votes sont secrets. Les discussions sont intenses : les jurés argumentent, contre-argumentent. C’est une décision collégiale, pas un simple vote à la majorité. On peut citer Harald Schrapers (ancien président) :
« Nous ne cherchons pas LE meilleur jeu de l’année. Nous cherchons celui qui est le plus adapté à notre mission : faire entrer les gens dans le jeu moderne. »
Les palmarès notables du Spiel :
https://fr.wikipedia.org/wiki/Spiel_des_Jahres
- Wolfgang Kramer : Auteur emblématique, il détient le record de nominations et de victoires, avec au moins 5 prix remportés et de nombreuses nominations pour des jeux comme Heimlich & Co., Auf Achse, El Grande, Tikal et Torres.
- Klaus Teuber : Il a été régulièrement nommé et a remporté le prix à quatre reprises, notamment pour Barbarossa, Adel verpflichtet, Drunter & Drüber et Les Colons de Catane.
- Michael Kiesling : Souvent nommé, il a gagné avec Tikal, Torres (en duo avec Kramer), et Azul, mais a aussi été finaliste avec d’autres titres.
- Reiner Knizia : Auteur prolifique, il a été nommé à de très nombreuses reprises, remportant le prix pour Keltis (2008), et étant finaliste avec des jeux comme Lost Cities, Modern Art ou Ingenious.
- Alan R. Moon : Il a remporté le prix avec Elfenland et Les Aventuriers du Rail, et a été nommé pour d’autres jeux tout au long de sa carrière.
- Wolfgang Warsch : Plus récemment, il s’est illustré avec plusieurs nominations en quelques années, et une victoire en 2018 pour The Quacks of Quedlinburg (Les Charlatans de Belcastel).
Quelques citations intéressantes :
- Jean-Louis Roubira (Dixit, Spiel des Jahres 2010) :
- Alan R. Moon (Les Aventuriers du Rail, Spiel des Jahres 2004) :
- Klaus Teuber (Les Colons de Catane, Spiel des Jahres 1995) :
- Bruno Cathala (Kingdomino, Spiel des Jahres 2017) :
« Recevoir le Spiel des Jahres a été un immense honneur et une surprise. Ce prix a changé la vie du jeu et la mienne, en ouvrant Dixit à un public mondial. »
« Le Spiel des Jahres, c’est un rêve pour tout auteur. Cela signifie que votre jeu va toucher des centaines de milliers de familles. C’est le prix qui change tout. »
« Gagner le Spiel des Jahres a transformé Catane en phénomène. Avant, je créais des jeux pour mes amis. Après, j’ai compris que je pouvais toucher le monde entier. »
« Le Spiel des Jahres, c’est la reconnaissance ultime pour un auteur. C’est un moment unique, un mélange de fierté et d’émotion. »