Le replay de l’émission enregistrée en matinale :
Vlaada Chvátil, l’inclassable
Introduction
A l’occasion de la sortie de la nouvelle version de Codenames, je vous propose de partir en République tchèque… mais pas pour parler de bière ou de hockey. Non, on va parler de Vladimir Chvátil (expliquer la prononciation Vladja Rvatl), plus souvent appelé Vlaada, l’un des auteurs de jeux de société les plus marquants de ces vingt dernières années.
Pourquoi marquant ? Parce qu’il a cette capacité rare de faire des jeux aussi bien ultra costauds et stratégiques, que des jeux légers et universels. Peu d’auteurs peuvent dire « J’ai créé Through the Ages et j’ai créé Codenames ». C’est comme si un réalisateur avait signé à la fois 2001 l’Odyssée de l’espace et Astérix et Obélix Mission Cléopâtre. Deux styles, deux univers, et pourtant la même patte créative.
Partie 1 — Qui est Vlaada Chvátil ?
Vladimir Chvátil naît en 1971, à Jihlava, une petite ville de Tchécoslovaquie. On est encore en plein bloc de l’Est, donc pas vraiment l’environnement le plus simple pour rêver de devenir créateur de jeux. Pourtant, dès son enfance, il bidouille des règles, invente des variantes pour les jeux qu’il connaît. Dans une interview il a déclaré avoir commencé à créer des jeux à deux ou trois ans. D’avoir toujours créé des jeux en tant que scout ou au collège.
Comme beaucoup d’auteurs de sa génération, il commence par le jeu vidéo. Dans les années 90, c’est même son premier métier et il bosse pour Altar Interactive, un studio tchèque. On lui doit des titres comme Fish Fillets, un puzzle game sous-marin bourré d’humour, ou encore Original War en 2001, un jeu de stratégie temps réel qui a marqué les amateurs.
C’est intéressant, parce que déjà dans ces jeux vidéo, on retrouve deux facettes de Vlaada : d’un côté la profondeur stratégique, de l’autre l’humour absurde et l’envie de surprendre le joueur. Et ce mélange, il va le garder quand il passera au jeu de société.
Vers 2005–2006, il commence à se concentrer sérieusement sur la création de jeux de plateau. Et là, son premier « vrai » coup d’éclat, c’est Through the Ages en 2006. Autant dire qu’il ne commence pas doucement. Pas un petit jeu de cartes de 20 minutes, non, un jeu de civilisation qui se hisse directement parmi les tout meilleurs du monde. Numéro un de BGG à une époque ? Actuellement il réalise le tour de force d’être à la fois 15ème et 107ème.
Partie 2 — Ludographie et diversité de styles
La liste de ses créations est impressionnante et surtout très éclectique.
1997 — Arena: Morituri te salutant : édité sous la bannière Altar.
2002 — Prophecy : son premier “vrai” jeu publié, un jeu d’aventure et de fantasy.
2006 — Through the Ages : un des jeux de civilisation les plus ambitieux jamais faits. L’un de ses chefs-d'oeuvres.
2007 — Galaxy Trucker : totalement à l’opposé, un jeu chaotique où on construit un vaisseau spatial avec des tuiles piochées en temps réel, avant de le voir exploser lamentablement sous les météorites.
2008 — Space Alert : encore du temps réel, mais cette fois en coopération, avec un CD audio qui dicte les événements. C’est un jeu où on planifie frénétiquement la défense de son vaisseau pendant 10 minutes de bande-son.
2009 — Dungeon Lords : un jeu de gestion où vous incarnez… les méchants. On construit son donjon, on recrute des monstres, et surtout on se prépare à accueillir de valeureux héros qui viennent nous piller.
2011 — Mage Knight : un énorme mélange entre deckbuilding, jeu d’aventure, gestion et stratégie. Très dense, mais adulé par les fans de jeux solo.
2011 — Pictomania : un jeu de dessin et de rapidité.
2013 — Tash-Kalar : un jeu abstrait, presque comme un jeu d’échecs, mais avec des invocations spectaculaires.
2015 — Codenames : le carton mondial. Plus de 12 millions d’exemplaires vendus, traduit en 40 langues, Spiel des Jahres 2016.
Ce qui est frappant, c’est qu’il n’a jamais fait deux fois le même jeu. À chaque fois, il change de style, de public, de complexité. Il y a une sorte de défi personnel chez lui : « Tiens, et si je faisais un jeu de civilisation ? Ok. Et maintenant, un party game de mots ? Ok aussi. »
Quiz - Partie 1
Partie 3 — Citations et anecdotes
Vlaada n’est pas seulement un créateur brillant, c’est aussi quelqu’un avec beaucoup d’humour et une vision assez décalée.
Sur sa vocation : il raconte qu’il a toujours bricolé des jeux. À un moment, il s’est dit « Bon, c’est un hobby sérieux. » Puis ses jeux ont commencé à avoir du succès, et il a pensé : « Ah, finalement ce n’est pas juste un hobby, c’est peut-être… du travail. »
Sur Codenames : il explique que le jeu est né un soir, presque par accident. Il avait écrit une liste de mots sur des bouts de papier, les avait découpés grossièrement. Et le jeu était quasiment déjà là. Ça montre bien que parfois, une idée géniale tient à pas grand-chose.
Sur son style : il déteste qu’on colle des étiquettes comme « eurogame » ou « ameritrash ». Pour lui, il faut mélanger élégance mécanique et immersion thématique.
Son humour : ses livrets de règles en sont remplis. Dans Galaxy Trucker, le ton est volontairement comique. Dans Dungeon Lords, il y a des petites blagues partout. C’est rare chez les auteurs européens, souvent plus sobres.
Sa façon de créer des prototypes : Tout d’abord en numérique et il ne passe que très tardivement à une vraie version du prototype.
Partie 4 — Czech Games Edition, la maison
En 2007, autour de Vlaada et de ses proches, naît Czech Games Edition (CGE) en éditant Galaxy Trucker de Vlaada et Ligue of Six de Vladimir Suchy.
A certains endroits, on voit Vlaada comme étant un cofondateur de CGE mais il n’en est pourtant pas le PDG, il tient le rôle de Lead Designer. L’actuel PDG de CGE est Petr Murmak. En tout cas, il est vraiment affilié à CGE et j’ai l’impression de toujours l’avoir vu arborer la tenue CGE à chaque salon d’Essen.
Le premier grand succès publié par eux, c’est Galaxy Trucker. À l’époque, l’éditeur est encore petit, artisanal, mais l’ambition est déjà là : proposer des jeux différents, qui se distinguent.
CGE, ce n’est pas seulement l’éditeur de Vlaada. Ils ont aussi publié Tzolk’in, Dungeon Petz, Lost Ruins of Arnak… Bref, un catalogue de plus en plus solide.
Ce qui les caractérise : une petite équipe, une ambiance familiale, mais une diffusion mondiale. Aujourd’hui, CGE publie ses jeux dans plus de 40 langues. Et ils ont aussi investi très tôt le numérique : Through the Ages sur mobile et PC, Galaxy Trucker en appli, Codenames en ligne pendant la pandémie.
CGE est connu à Essen pour avoir l’un des stands les plus chaleureux. Contrairement à certains éditeurs qui présentent un seul jeu star, CGE amène toute sa gamme et fait jouer les visiteurs sur plein de tables. Leurs démonstrateurs sont souvent des amis ou des proches de l’équipe, ce qui donne une ambiance plus conviviale que purement commerciale.
Quiz - Partie 2
Partie 5 — Focus sur ses deux monuments
Through the Ages
Sorti en 2006, Through the Ages est un jeu de civilisation où l’on gère ses leaders, ses technologies, ses bâtiments, son armée, et bien sûr sa culture.
C’est un jeu exigeant, mais d’une grande fluidité une fois qu’on le connaît. En 2015, une nouvelle édition « A New Story of Civilization » corrige les défauts de la première version. Il existe une adaptation numérique saluée comme l’une des meilleures applis de jeu de société, avec un tutoriel très bien pensé et une IA redoutable.
Petit mot sur Raphaël, un Ludochon numéro 1 mondial sur BGA ! Vainqueur des tournois BGA en 2022, 2023 et second en 2024 !
Codenames
Lancé en 2015, c’est le jeu qui a propulsé Vlaada au rang de superstar internationale. Le principe est d’une simplicité déconcertante : faire deviner des mots avec un seul indice, en évitant l’assassin.
Ce qui rend Codenames incroyable, c’est son côté universel. On peut y jouer entre ados, en famille, entre experts, et ça marche toujours. Il existe des variantes (Codenames Pictures, Duet, Disney, Harry Potter…). Et surtout, une version en ligne gratuite qui a explosé pendant les confinements.
Le jeu a remporté le Spiel des Jahres en 2016 et reste un incontournable des soirées jeux (pas d’As d’Or ni de Tric Trac d’Or).
Conclusion
Vlaada Chvátil est un auteur à part. Il a prouvé qu’on pouvait être à la fois l’auteur d’un des jeux les plus complexes et respectés de l’histoire moderne (Through the Ages), et l’auteur d’un des jeux les plus accessibles et vendus au monde (Codenames).
Son œuvre montre surtout une grande liberté créative. Là où beaucoup d’auteurs se spécialisent dans un style, lui aime surprendre. Et ce mélange d’humour, de stratégie et de convivialité, c’est sans doute ce qui fait qu’on parle encore de lui aujourd’hui.
Je vous invite d’ailleurs à vous poser cette question : si vous deviez conseiller un seul Vlaada Chvátil à un ami, lequel choisiriez-vous ? Est-ce que vous iriez vers le fun immédiat de Codenames ? Ou est-ce que vous plongeriez dans l’épopée historique de Through the Ages ?